Le traité de Versailles fut-il une catastrophe?

Publié le par Itamarandiba

Le traité de Versailles fut-il une catastrophe?

 

Par Laure Bouguen et Valentin Bardet, ECS1 2009-2010, lycée Chateaubriand, Rennes

 

Le 28 juin 1919, à Versailles, fut signé un traité de paix entre l’Allemagne et les alliés de la Première Guerre mondiale (à savoir la France, le Royaume-Uni, les États-Unis et l’Italie, mais pas la Russie). Il amorça notamment la création de la Société des Nations et détermina les sanctions à l’encontre de l’Allemagne.

Ce traité est généralement considéré comme ayant planté les germes de la Deuxième Guerre mondiale car trop sévère vis-à-vis de l’Allemagne : pertes territoriales trop humiliantes, sanctions économiques trop lourdes… Nombreux également furent ceux qui l’ont qualifié de matrice d’une Société Des Nations trop molle, ou en tout cas inefficace. Cependant, cette même Société Des Nations, ainsi que l’Organisation Internationale du Travail, connurent certains succès importants durant l’entre-deux-guerres, et furent porteurs de messages réellement pacifistes et solidaristes. De plus, la crise économique des années 1930, qui d’après de nombreux experts à constitué un véritable terreau pour le nazisme, est d’abord née aux États-Unis. De là demandons-nous quels furent les impacts réels du Traité de Versailles, et dans quelle mesure il fut responsable de tous les maux dont on l’accuse.

Partait-il, en 1919, sur de bonnes bases? Quelles furent les conséquences politiques et géopolitiques de ce traité? En quoi fut-il une erreur sur le plan économique ?

 

 

I - Le traité de Versailles, dès sa rédaction, partait-il sur de bonnes bases?

 

 

A)   Des pays vainqueurs divisés

 

De nombreux pays furent conviés aux débats portant sur le contenu sur le traité de Versailles (aucun pays vaincu, cependant), mais quatre dominent dans le jeu des influences : La France (avec Georges Clemenceau), le Royaume-Uni (avec David Lloyd George), les États-Unis (avec Woodrow Wilson) et, dans une moindre mesure, l’Italie (avec Vittorio Orlando). Chaque pays a des revendications différentes, parfois même incompatibles avec celles des autres.

L’Italie, ayant changé de camp pendant le conflit en échange de la promesse de se voir attribuer les terres irrédentes, veut que soit effectuée cette modification territoriale au plus vite.

Cependant, le président Wilson, fort de son prestige acquis par l’aide américaine aux alliés, veut que domine dans la rédaction du traité l’esprit de ses « 14 points » énoncés devant le Congrès en janvier 1918. C’est d’ailleurs la première fois qu’un président américain se rend à Paris : Wilson compte influer fortement la rédaction du traité. Opposé au colonialisme, considérant l’autodétermination des peuples comme un droit fondamental, il ne souhaite pas que les terres irrédentes reviennent à l’Italie. D’autre part, il pense que l’Allemagne ne doit pas être trop durement punie car, cette dernière étant avant la guerre la première puissance industrielle en Europe, son redressement rapide favoriserait celui de l’Europe en général.

- De même, les britanniques veulent épargner le plus possible l’Allemagne, car ils souhaitent éviter une hégémonie française sur le continent. Ils refusent notamment que la frontière entre l’Allemagne et la France soit située sur le Rhin.

- En revanche, la France, qui sort meurtrie du conflit sur les plans humain, moral, économique et militaire, veut se protéger et faire payer un maximum l‘Allemagne. Cette intransigeance va se heurter aux revendications des Américains et des Britanniques.

 

 

B)    La création des premières instances internationales

 

L’article premier du traité pose les bases de la Société Des Nations (l’expression est de Léon Bourgeois, prix Nobel de la paix en 1920). Cette instance devra régler par l’arbitrage tout conflit entre les nations susceptible de dégénérer en guerre meurtrière : la Grande Guerre doit être la « der des der ». Ceci constitue un progrès décisif dans le sens de la solidarité internationale. Cependant, le fait que les États-Unis n’y adhèrent pas (Wilson sera désavoué par le Congrès en 1920) et que la Société Des Nations n’ait pas d’armée hypothèque les chances d’une paix durable.

L’Organisation Internationale du Travail est également créée (article 13 du traité) : son but est d’améliorer le sort des travailleurs de tous les pays en mettant en place des normes internationales, par exemple. Son premier directeur, Albert Thomas, contribuera à son rayonnement : 42 pays membres en 1919, 62 en 1936.

Cet « esprit de Genève » (les sièges de ces deux instances s’y trouvent) marque une véritable volonté de coopération internationale, même si l’idéal de la Société Des Nations semble compromis dès le départ.

 

 

C)    Le sort de l’Allemagne, désignée explicitement coupable par le traité

 

L’Allemagne subit d’importants remaniements territoriaux et se voit amputée d’une part considérable de son territoire (15%) et de sa population (10%). Les bénéficiaires en sont la France, la Belgique, le Danemark, mais surtout la Pologne, état nouvellement créé. La Sarre est placée sous gouvernance internationale pendant 10 ans avant un référendum qui verra les habitants décider de leur rattachement à tel ou tel pays. L’Allemagne perd également son empire colonial, et ses intérêts commerciaux en Chine, dans le royaume de Siam, en Égypte, en Turquie et au Maroc.

Sur le plan militaire, le service militaire allemand est supprimé, l’armée ne doit pas compter plus de 100 000 soldats, la rive gauche du Rhin est démilitarisée, et l’armement lourd est interdit (l’Allemagne devra abandonner ses chars, sa flotte, ses canons et ses blindés, et surtout cesser d’en construire).

Enfin, sur le plan économique, l’Allemagne devra verser de très lourdes réparations de guerre à la Belgique et surtout à la France : 132 milliards de marks or (montant fixé en 1921), une somme faramineuse bien qu’inférieure à celle estimée nécessaire pour réparer les dégâts subis par les alliés (150 milliards). L’Allemagne perd également ses brevets, doit laisser les navires commerciaux étrangers circuler sur ses fleuves, et n’a plus le droit de taxer les produits en provenance de Posnanie et d’Alsace Moselle.

 

è Une volonté apparente de poser les bases d’une paix durable (notamment dans le cadre de la Société Des Nations), mais des tensions apparaissent entre les pays vainqueurs. La volonté de la part des Français de « saigner » l’Allemagne et de l’humilier est claire : n’oublions pas que le lieu choisi pour la signature du traité est fortement symbolique car c’est là même qu’avait été proclamé l’Empire Allemand le 18 janvier 1871 après la défaite de la France.

Quelles furent donc les conséquences du traité de Versailles?

 

 

II. Le Traité de Versailles des conséquences catastrophiques sur les plans politiques et géopolitiques

 

 

A) Des nationalismes qui vont s'exacerber

 

1) En Allemagne de par les attributions territoriales et le paiement des réparations

            L'Allemagne perd 1/7 de son territoire et 10% de sa population. Le découpage des nouveaux Etats d'Europe centrale (avec notamment la création du corridor de Dantzig) suscite des conflits entre les minorités nationales et l'Allemagne, humiliée, qui ne tarde pas à refuser cette mauvaise paix. L'exigence du refus du Traité de Versailles devient un thème central de la vie politique de la République de Weimar et particulièrement auprès des partis radicaux d'extrême droite. Tout au long de la période, les réparations font l'objet de vives contestations politiques et alimentent un vif ressentiment (d'où le terme de Diktat). En 1933 les nazis arrivent au pouvoir et rejettent l'idée de paiement des réparations. Les paiements sont définitivement arrêtés tandis que l'annexion de l'empire colonial allemand est maintenue jusqu'à l'accession à l'indépendance des peuples africains concernés au début des années 1960 (à l'exception de la Namibie qui n'accède à l'indépendance qu'en 1990).

 

2) Une victoire mutilée pour l'Italie

            Le ressentiment est particulièrement fort en Italie. On a parlé de "victoire mutilée" car les Alliés n'ont pas respecté les promesses faites durant le conflit concernant l'attribution des provinces de l'Istrie, de la Dalmatie, et du Trentin. Les fascistes italiens ont su exploiter cette trahison et y trouver un terreau propice à l'exaltation d'un nationalisme virulent .Dans l'immédiat après-guerre, profitant du mécontentement de la « victoire mutilée », Mussolini va créer le Parti national fasciste (PNF) en 1921 et se présente au pays avec un programme politique nationaliste, autoritaire, antisocialiste et antisyndical, ce qui lui vaut l'appui de la petite bourgeoisie et d'une partie des classes moyennes industrielles et agraires. Dans le contexte de forte instabilité politique et sociale qui suit la Grande Guerre, il vise la prise du pouvoir, en forçant la main aux institutions avec l'aide des actions de squadristi et l'intimidation qui culminent le 28 octobre 1922 avec la Marche sur Rome. Mussolini obtient alors la charge de constituer le gouvernement le 30 octobre 1922.

 

 

B) Des aspirations françaises trop grandes et incompatibles avec l'intérêt général de l'après-guerre

 

 

            La France qui est pourtant une des principales bénéficiaires du Traité (retour de l'Alsace et de la Lorraine dans le giron français, démilitarisation de l'ouest de l'Allemagne, dépeçage de l'Empire austro-hongrois et obtention d'un énorme montant pour les réparations financières) n'est pas encore satisfaite car elle aurait voulu obtenir l'occupation permanente de la rive gauche du Rhin.

 

            Clémenceau veut avant tout humilier de toutes les façons possibles l'Allemagne et détruire l'Autriche-Hongrie, coupable à ses yeux d'être modérée, catholique et monarchiste. Le "Tigre" n'a cure de l'équilibre de l'Europe et du nécessaire rétablissement de relations harmonieuses.

 

            Comme le note Keynes: "Lorsqu'on causait avec des Français qui n'étaient nullement touchés par des considérations politiques (...) on pouvait les persuader que certaines évaluations courantes de ce que l'on obtiendrait de l'Allemagne étaient extravagantes; et cependant, à la fin ils revenaient toujours au point d'où ils étaient partis: "L'Allemagne doit payer, car sans cela, que deviendra la France".

 

 

C) La position américaine: l'échec de la SDN et les "14 points du président Wilson"

 

 

1) L'échec de la SDN

            Les USA, en contradiction avec les principes qu'ils ont eux-mêmes développés choisissent l'isolement politique par le refus de la signature du pacte de la société des nations, et économique en maintenant leur protectionnisme. La SDN ne dispose pas de forces militaires propres et, de ce fait, dépendait des grandes puissances pour l’application de ses résolutions, que ce soit les sanctions économiques ou la mise à disposition de troupes en cas de besoin. Cependant, les pays concernés furent très peu souvent disposés à le faire. Benito Mussolini déclara : « la Société de nations est très efficace quand les moineaux crient, mais plus du tout quand les aigles attaquent ». Après de nombreux succès notables et quelques échecs particuliers dans les années 1920, la Société des Nations ne parvient pas a enrayer la guerre civile espagnole et la montée en puissance du nazisme à l'origine de la Seconde Guerre mondiale. Le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale démontra que la ligue avait échoué dans son objectif primordial d’éviter toute nouvelle guerre mondiale. L’Organisation des Nations unies l’a remplacée après la fin de la guerre et en a hérité un certain nombre d’agences et d’organismes.

 

2) Les 14 points du Président Wilson: un enjeu en dehors de l'Europe

En 2007 paraissait aux USA un essai d'histoire diplomatique intitulé A Shattered Peace (une paix brisée). Pour son auteur David Andelman, le traité de Versailles a trahi son projet initial. Au lieu d'entériner la "nouvelle diplomatie" défendue par le président Wilson dans son célèbre discours les "14 points" pour sortir de la guerre, le Traité a finalement perpétué une approche traditionnelle et arrogante des relations internationales, dont les grandes puissances en 1919 comme aujourd'hui, ne se sont jamais totalement départies.

Or on a longtemps négligé les répercussions des négociations de paix hors du monde occidental. Et pourtant, le début de l'année 1919 est marqué par la diffusion dans le monde entier du "droit à l'autodétermination". Ce thème était déjà apparu en 1917 sous la plume de Lénine et Trotsky dans la perspective d'affaiblir l'Empire russe. Mais c'est Wilson qui l'a véritablement popularisé en en faisant l'expression de la souveraineté du peuple (government by consent).

Dans la pratique, Wilson  visait surtout les territoires de l'Empire Austro-hongrois, de l'Empire allemand, et de l'Empire ottoman mais pas les colonies asiatiques ou africaines. Reste qu'en Egypte, en Inde, et en Chine, grâce aux progrès de la presse, les discours du président sont traduits et largement diffusés et débattus dans les milieux nationalistes, malgré la censure des autorités coloniales.

Aussi au moment ou s'ouvre la conférence de la paix, nombreux sont ceux qui la considèrent comme un test de la volonté occidentale à voir appliquer le droit à l'autodétermination. La désillusion suscitée par la trahison de l'idéal wilsonien entraine un certain nombre d'activistes (notamment chinois) à se tourner vers le modèle bolchevique, qui promet lui aussi un abandon des anciennes pratiques coloniales.

Peut-être alors que le véritable échec du traité de Versailles, est ailleurs, loin de l'Europe et des champs de bataille. En passant à côté des aspirations des peuples colonisés et en refusant de ratifier l'égalité entre les races, les négociateurs ont contribué à alimenter des sentiments nationalistes incapables à satisfaire.

 

 

III. Le Traité de Versailles, des conséquences catastrophiques sur le plan économique

 

A) Une volonté de ruiner l'Allemagne économiquement pernicieuse pour l'Europe

 

 

Le paiement des réparations représentait une lourde charge pour la République de Weimar. En proie à de graves difficultés financières, elle se révélait incapable d'y faire face. Les Alliés demandent alors des livraisons en nature. Face au retard des livraisons allemandes, la France et la Belgique envahissent la Ruhr en 1923, ce qui aggrave encore la déstabilisation économique de l'Allemagne.

Keynes décrit la campagne accomplie pour faire payer par l'Allemagne les dépenses de guerre comme un des "actes les plus graves de folie politique dont nos hommes d'Etat aient jamais été responsables". Il juge que les problèmes les plus importants n'étaient pas territoriaux ni politiques, mais financiers et économiques. La position financière de la France et de l'Italie était si mauvaise qu'il était impossible de leur faire entendre raison au sujet de l'indemnité allemande. Et c'est bien sur ce point que les représentants des USA eurent tort de n'avoir aucune proposition constructive à offrir. "Le Traité ne comprend nulle disposition en vue de la restauration économique de l'Europe (...) rien pour organiser les nouveaux Etats ou sauver la Russie. La paix mènera l'Europe souffrante jusqu'au bord de la ruine et de la famine." Keynes.

 

 

B) Des rivalités économiques exacerbées par le paiement des réparations

 

 

Les rivalités économiques exaspèrent les tensions entre la France et ses anciens alliés. Depuis la parution de l'ouvrage de l'économiste anglais Keynes les Conséquences économiques de la paix, ces derniers estiment que la reconstruction de l'Europe ne peut se faire qu'à condition qu'y soit associée une Allemagne suffisamment forte et l'URSS (créée en 1922).

Par ailleurs, ils craignent qu'à trop déstabiliser l'Allemagne par ses exigences, la France n'aboutisse à jeter sa voisine dans les bras du bolchevisme. Ils s'inquiètent de la volonté d'expansion que la France manifeste à travers son "projet sidérurgique"' établi par le Quai d'Orsay. Celui-ci vise à établir la suprématie industrielle de la France sur le continent grâce aux livraisons obligatoires de charbon et de coke par l'Allemagne et aux conditions commerciales du traité de paix, qui prévoit que pendant quinze ans, les entreprises lorraines, alsaciennes et sarroises pourront faire pénétrer librement leurs produits en Allemagne.

Ainsi les Anglo-Saxons s'attachent-ils à combattre la politique française d'exécution des traités. D'autant qu'il existe un véritable plan, de pénétration économique français en Europe.

 

 

C) La crise des années 30: une conséquence dérivée de celles du Traité de Versailles.

 

On est en 1930 face au constat de l'échec du système financier international. L'essentiel des années 20 a été consacré à la laborieuse remise en place d'un système monétaire et financier calqué sur celui de l'avant-guerre et dont le fonctionnement a été artificiellement maintenu jusqu'à ce que la crise ne le fasse disparaitre. Les dirigeants de pays vainqueurs se sont donc montrés incapables de recréer un système financier international.

 

 

Conclusion générale :

 

Le traité de Versailles, par de nombreux aspects, fut extrêmement maladroit voire désastreux. Il est d’abord le résultat d’un compromis entre grandes puissances qui ne pouvait que diviser les pays vainqueurs et susciter un sentiment revanchard en Allemagne. L’Organisation Internationale du Travail partait de principes louables et ambitieux, tout comme la Société Des Nations, mais cette dernière fut incapable d’empêcher l’Europe de basculer dans un nouveau conflit. Le traité eut de nombreux impacts économiques, politiques et géopolitiques négatifs, de manière plus ou moins directe.

Cependant, il est excessif d’affirmer qu’il est responsable de la Deuxième Guerre Mondiale. Certes, il n’a pas apaisé les tensions géopolitiques, ni favorisé un redressement socio-économique rapide en Europe. Mais d’autres facteurs, indépendants du traité, peuvent également être mis en cause pour expliquer le basculement de l’Allemagne dans le totalitarisme, à savoir la crise économique des années 1930, ou un antisémitisme séculaire (en Allemagne mais, précisons-le,  plus généralement en Europe).

Finalement, bien que parler de catastrophe ou de désastre semble être excessif, nous devons retenir que le traité de Versailles fut un raté majeur, ou en tout cas loin d’être une réussite.

Publié dans Fiches de colle

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